Première partie
Les difficultés d'une
bonne appréciation statistique de l'intégration
scolaire des enfants et adolescents handicapés
La mesure de l'intégration Scolaire des enfants et adolescents handicapés est souvent exprimée soit par le nombre d'enfants handicapés, qui suivent un enseignement dans un établissement placé sous le contrôle du ministère de l'Éducation nationale soit par le rapport de ce nombre au nombre total d'enfants et d'adolescents handicapés des classes d'âge correspondantes. Ces deux modes de mesure peuvent fournir des indications utiles même s'ils sont extrêmement réducteurs. tout particulièrement quand ils concernent des individus qui doivent être considérés avec leurs caractères personnels. Ils se heurtent aussi à des problèmes de principe et des problèmes techniques qui ne permettent d'avancer d'appréciation statistique de l'intégration scolaire qu'avec beaucoup de prudence.
1. Des obstacles de principe rendent
difficile une mesure statistique simple de l'intégration
scolaire qui soit incontestable.
1.1. Le terme de " handicapé " recouvre des réalités humaines diverses :
Les textes de référence qui servent de base aux travaux des professionnels ont été largement diffusés depuis leur établissement (Guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées ~ décret n'93-1216 du 04/11/1993) en particulier par l'intermédiaire d'une brochure établie par le Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI). Cette classification n'est pas contestée comme référence commune, même si les principes qui la fondent ou des choix qu'elle expose peuvent être l'objet de débats, et qu'une révision dans le cadre d'une nouvelle harmonisation internationale est actuellement en cours.
Cependant malgré les multiples voies par lesquelles cette classification est présentée depuis des années des risques d'incompréhensions peuvent encore être constatés :
- les notions d'incapacités et de désavantages sont peu utilisées Au profit des termes de déficience et de " handicap ". Certes il est difficile de ne pas tenir compte de l'usage du mot handicap dans le langage courant et la notion de déficience est peut-être plus facile à cerner ; mais comme cela est rappelé par le CTNERHI : " Ces trois dimensions (déficiences, incapacités. désavantages) sont les éléments constitutifs du handicap. Si un lien existe entre chacune d'elles, ce lien n'est ni linéaire, ni systématique " ,
- pour les différentes catégories de déficiences. incapacités et désavantages des globalisations statistiques sont faites qui sont à la base de conclusions simplistes, Ainsi dans la catégorie des déficiences intellectuelle;. l'importance du retard mental i profond, moyen, léger (et l'on rappellera ici qu'avec un Q1>70 une personne est considérée comme sans handicap) dont est atteint (ou risque d'être atteint. avec éventuellement des déficiences associées) un enfant est déterminante ~ notamment pour apprécier les meilleures voies pour lui d'acquérir des savoirs. Ceci est tout aussi vrai vis à vis par exemple des déficiences auditives (degrés de perte auditive) Ou visuelles " de l’appareil oculaire ), selon la classification. qui recense au total neuf catégories de déficiences :
- parmi ces déficiences figurent les déficiences du psychisme et dans les incapacités sont décrites celles qui concernent le comportement ; cependant les enfants et les adolescents dont le handicap est le résultat d une conjonction ci- ces dimensions se retrouvent souvent à la croisée de divers modes de prises en charges : sanitaires. médico-sociaux, sociaux (voire relevant des services de la protection judiciaire de la jeunesse). Dans ces cas la mission a pu noter de très nombreuses situations précaires qui aboutissent au mieux à des prises en charge multiples et coordonnées. mais au pire à des " exclusions " de toute forme de prise en charge et à des déscolarisations ;
- doivent aussi être cités ici quelques problèmes individuels dus à des difficultés de reconnaissance des conséquences en termes de handicap de maladies chroniques et invalidantes même si des changements très significatifs sont intervenus au cours des dernières années ;
- les membres de la mission ont enfin choisi de ne pas approfondir les conséquences des directives en direction des autistes, des traumatisés crâniens et des polyhandicapés (qui ont été l'objet de rapports d'études et de décisions récentes) et ont noté l'émergence d'une prise en compte spécifique des difficultés du langage oral et écrit.
1.2. Le dépistage des
déficiences et/ou incapacités est réalisé
de façon souvent tardive .
En simplifiant il est possible de distinguer deux voies de dépistage de difficultés susceptibles de constituer un handicap :
- une voie " sanitaire " qui peut se matérialiser dès le suivi anténatal ou postnatal. par les services de protection maternelle et infantile (PMI), par I'intermédiaire des médecins généralistes ou spécialistes (en pédiatrie notamment) et dans lequel le rôle des parents peut être déterminant ,
- une voie " scolaire " qui fait intervenir les maîtres d'école, les infirmiers et médecins de santé scolaire et s'appuie sur les réseaux constitués par l'Éducation nationale dans lesquels peuvent être classés les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP).
L'existence de ces deux voies cumulatives de dépistage devrait garantir une détection réellement précoce des handicaps qui permette de déterminer à court terme la stratégie la mieux adaptée à la situation de l'enfant et conditionne à moyen terme le développement ultérieur de ses capacités. Or des signes caractéristiques de retards dans le dépistage peuvent être constatés qui concernent de, déficiences intellectuelles. des déficiences auditives ....
Des centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) ne sont pas encore installés dans tous les départements ; par exemple dans un des départements dans lesquels s'est rendue la mission ci où plus de 251,,. des dossiers d'orientation examinés par la commission départementale de l'éducation spéciale (CDES) concernaient des enfants de 13 ans et plus.
Quant au rôle des infirmières et des médecins de santé scolaire notamment dans la réalisation des bilans de santé (voir annexe 17). la présente mission se réfère aux constats et propositions émis par la mission IGAS-IGAEN sur " le dispositif médico-social' en faveur des élèves " (rapport remis en mars 1999).
Ces constats fondent deux types de
conclusions en termes de mesure statistique de l'intégration
scolaire :
- une minoration mécanique du nombre d'intégrations
scolaires recensées dans le premier degré puisqu'un
certain nombre d'enfants ne voient pas reconnu leur handicap ou au
moins l'ampleur de celui-ci (et qu'un dispositif d'aide
adéquat n'est pas mis en place à leur intention)
-,
- une minoration induite du nombre d'intégrations scolaires dans le second degré car alors le choix d'orientation préconisé par l'équipe technique de la CDES risque d'être une orientation vers un établissement d'éducation spéciale pour des enfants, qui jusqu'alors. semblaient pouvoir suivre une scolarité en milieu ordinaire.
Cela dit, et malgré les progrès restant à accomplir aucune des personnes rencontrées par les membres de la mission n'a infirmé l'existence d'évolutions très positives en matière de dépistage des handicaps intervenues pendant les dix dernières années.
1.3. La notion d'intégration scolaire recouvre des définitions et des pratiques largement différentes :
Les textes de référence en matière d'intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés, prévoient que l'intégration scolaire peut prendre deux grandes formes :
- l'intégration individuelle (dans une classe " ordinaire " avec d'autres enfants ou adolescents d'environ le même âge) avec ou sans soutien particulier pouvant être fourni par les membres d'un réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) ou d'un service de type SESSAD (service d'éducation et de soins à domicile : c'est-à-dire les SSEFIS, services de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire [pour les enfants déficients auditifs] et les SAAAIS. services d'aide à l'acquisition de l'autonomie et à l'intégration scolaire [pour les enfants déficients visuels] ; d'autres appellations " spécifiques " ont été aussi repérées par la mission). Parmi ces classes ordinaires figurent les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) qui accueillent des enfants et adolescents handicapés parmi d'autres élèves d'environ le même âge ayant eux aussi des difficultés dans leurs apprentissages ;
- l'intégration collective dans une classe " spéciale " située dans un établissement scolaire " ordinaire " (par exemple classes d'intégration scolaire : CLIS, unité pédagogiques d'intégration : UPI) ; les enfants et adolescents handicapés participant à des activités avec les autres élevés qui suivent leur scolarité dans cet établissement (et pouvant bénéficier ou non d'un soutien particulier fourni par les membres d'un RASED ou d'un service de type SESSAD).
Et l'on notera que :
- ces intégrations peuvent être à temps plein ou à temps partiel : et dans certains cas le temps partiel peut ne représenter que moins de deux demi-journées par semaine (voir il7fi-a " les critères d'une intégration scolaire véritable ") :
- ces intégrations peuvent concerner des enfants ou adolescents accueillis comme internes ou demi-pensionnaires dans un établissement spécialisé qui peuvent ainsi suivre une scolarité (à temps plein ou partiel) dans un établissement scolaire ordinaire ; c'était d'ailleurs le cas de plus de 12.000 d'entre eux en 1996 (voir tableau n'3 en 2. 1. 1. ci-après).
C'est à partir de ces définitions que seront présentées dans les paragraphes suivants les données recensées par les services des ministères (et les observations de la mission quant à leur fiabilité). Ces définitions sont utilisées par l'ensemble des intervenants des domaines médico-sociaux et de l'éducation, qui n'émettent de réserves que sur la façon dont ces divers modes d'intégration sont effectivement mis en œuvre (voir 2ème partie).
2. Les statistiques produites par les services ministériels ne permettent d'apprécier l'effort d'intégration que de façon approximative
2.1. Les études nationales administrées de façon régulière :
Quatre enquêtes nationales administrées par les services d'études et de statistiques du ministère de l'Emploi et de la Solidarité et du ministère le l'Éducation nationale, normalement. fournissent régulièrement des données sur la situation des enfants et adolescents handicapés ; mais ces études sont cloisonnées et incomplètes en matière d'intégration scolaire.
2. 1. 1. L 'étude sur les établissements et services en faveur des enfants et adolescents
Le service des statistiques, des études et des systèmes d'information (SESI, intégré depuis décembre 1998 dans la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité collecte auprès des établissements et services en faveur des enfants et adolescents handicapés clés informations sur leur activité et leur personnel (tous les deux ans), et sur les enfants et adolescents accueillis (tous les quatre ans). Cette étude dont la dernière parution date de février 1997 (bulletin°280 du SESI) rassemble des données récapitulées depuis 1985. De cette étude, dont il est nécessaire de rappeler qu'elle ne concerne que des établissements ou services agréés par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, il est possible de retenir tout d'abord quelques données générales quant aux modalités de prises en charge :
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nombre d'établissements ou services recensés |
2 031 |
2 096 |
2 185 |
2 255 |
2 334 |
2 520 |
" autonomes " |
113 |
181 |
245 |
315 |
382 |
526 |
nombre d'enfants et d'adolescents pris en charge |
118 439 |
119 507 |
120 756 |
121 513 |
123 510 |
125 448 |
dont par un SESSAD " autonome " |
3 072 |
4 820 |
6 096 |
7 854 |
9 211 |
12 376 |
et nombre de places de SESSAD " non autonome " |
1 757 |
1 774 |
2 018 |
2 298 |
3 803 |
3 809 |
tableau 1 : établissements et
services (nombre d'établissements et d'enfants, adolescents
pris en charge) série chronologique 1985-1996
Le développement des prises en charge en " milieu
ordinaire " apparaît déjà nettement.
à la lecture de ce tableau : 1996 le rapport nombre de
personnes prises en charge en SESSAD (-nombres de places en SESSAD "
non-autonomes "), nombre total atteint 13% alors qu'il n'était
que de 4% environ en 1985 (et même s'il faut tenir compte de ce
qu'un certain pourcentage des prises en charge en SESSAD concerne des
enfants non scolarisés, par exemple en raison de leur
Cette évolution est en outre accentuée par les effets
de " l'amendement Creton " qui fondait la présence de
plus de 4.700 jeunes adultes dans des établissements en
1996.
Les informations contenues dans cette étude permettent aussi
de relativiser la part des grandes catégories d'enfants et
adolescents handicapés pris en charge dans ces
établissements ainsi en s'en tenant aux seuls
établissements d'éducation spéciale il est
possible de dresse,- le tableau suivant (pour un total de 111.290
enfants et adolescents -et jeunes adultes- pris en charge) :
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tableau 2 : répartition en %
par type d'établissements de prise en charge (et hors centres
de placement familial et SESSAD), des enfants et adolescents
handicapés en 1996
Ce tableau fait ainsi ressortir, et il convient de le souligner pour
ces enfants et adolescents handicapés pris en charge dans ces
établissements, que plus de 80% d'entre eux souffrent de
handicaps essentiellement d'origine mentale.
Par ailleurs cette étude recense des données en
matière de scolarisation ; certaines de ces données
sont récapitulées de façon synthétique
dans le tableau ci-dessous :
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TABLEAU 3 nombre d’enfants et
d’adolescents scolarisés et modes de scolarisation par type
d’établissements de prise en charge (hors centres de placement
familial et SESSAD ) en 1996
Ces informations montrent clairement, même en considérant l'existence de biais dus à la possibilité de modes de prises en charge alternatifs ainsi qu'à la nature des projets des établissements, que :
- il y a de profondes différences quant à la possibilité de scolarisation des enfants ci adolescents pris en charge selon le type de déficience dont ils sont atteints ; ainsi 32% des jeunes pris en charge dans les établissements pour déficients intellectuels sont non scolarisés. alors que ce chiffre n'est que de 6% dans les établissements pour déficients auditifs ;
- dans le cas de scolarisation de ces enfants ou adolescents pris en charge dans ces établissements (cri, ne tenant pas compte des SESSAD rattachés aux établissements) le pourcentage de scolarisation à temps plein ou à temps partiel dans un établissement dépendant de l'Éducation nationale est lui aussi très lié au type d'établissement.
Cette étude recense aussi pour les enfants scolarisés dans chacune des catégories d'établissements une répartition par type de classe suivie/niveau d'étude : 19 types de classe/niveau d'étude sont ainsi délimités. L'essentiel des enfants et adolescents ainsi scolarisés le sont en préélémentaire ou élémentaire y compris CLIS ; ce qui dessine les contours des difficultés de l'enseignement à des enfants et adolescents handicapés en fonction de la nature de leur état (pour plus de détail sur ces données. voir annexe 6).