Une meilleure prise en charge, au sein du service
public de l'Education nationale de l'action éducative en
faveur des enfants et adolescents handicapés doit constituer
l'un des aspects de l'effort entrepris par le gouvernement pour
lutter contre les inégalités sociales.
L'intégration des jeunes handicapés en milieu scolaire
ordinaire a en effet été retenue parmi les
priorités du plan intérimaire 1982- 1983.
L'intégration vise tout d'abord à favoriser l'insertion
sociale de l'enfant handicapé en le plaçant le plus
tôt possible dans un milieu ordinaire où il puisse
développer sa personnalité et faire accepter sa
différence. Elle lui permet ensuite de
bénéficier, dans de meilleures conditions d'une
formation générale et professionnelle favorisant
l'autonomie individuelle l'accès au monde du travail et la
participation sociale. Enfin, en élargissant le champ des
solutions proposées aux parents, I'intégration leur
permet d'exercer plus pleinement leurs responsabilités et
d'émettre un choix véritable en matière
d'éducation pour leur enfant handicapé.
La loi d'orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 a fait de l'éducation, de la formation et .de l'orientation professionnelle des handicapés une obligation nationale qui vise à leur assurer toute l'autonomie dont ils sont capables. Elle indique dans son préambule que les personnes handicapées doivent avoir accès aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et être maintenues dans un cadre ordinaire de travail et de vie « chaque fois que leurs aptitudes et celles du milieu familial le permettent ».
Déjà le ministère de l'Education nationale avait constitué un important réseau de classes et d'établissements spécialisés destinés à répondre aux besoins spécifiques d'enfants et d'adolescents présentant des handicaps divers ou des difficultés d'adaptation aux exigences et aux normes jusqu'ici définies par l'institution scolaire.
Ce secteur a certes répondu à sa vocation et les résultats obtenus ont été remarquables à bien des égards. Toutefois la classe, la section ou l'établissement spécialisé risquent de renforcer pour l'enfant qu'ils accueillent le sentiment de différence qu'ils prétendaient effacer et présentent en outre les inconvénients de toute structure ségrégative en favorisant I'isolement, la méconnaissance mutuelle et les tendances au rejet, si leurs finalités ne sont pas redéfinies dans le cadre d'une pédagogie d'intégration assumée par l'ensemble du système scolaire, avec la mise à sa disposition des moyens spécialisés adéquats. Aussi assiste- t- on depuis quelques années à une évolution des esprits et la multiplication des expériences d'intégration scolaire est à cet égard significative. L'accès des enfants handicapés à l'école ordinaire reste cependant insuffisamment répandu et demeure trop limité à certains handicaps.
Il est donc nécessaire de mettre en place un dispositif institutionnel différencié, englobant à la fois le système scolaire ordinaire et les institutions spécialisées qui répondent à des besoins précis et spécifiques, capables de prendre en compte les caractéristiques de chaque enfant et de s'adapter à son évolution.
1. L'INTEGRATION EDUCATIVE: UN OBJECTIF ET.UNE DEMARCHE
Il convient de rechercher, pour chaque cas
particulier, la possibilité d'apporter une éducation
appropriée faisant appel à la fois aux moyens de
l'ensemble des institutions scolaires et des institutions
spécialisées de prévention, d'aide
psychopédagogique, psychologique ou médicale.
L'intervention de ces dernières doit donc être
conçue en liaison avec le système scolaire ordinaire.
Les commissions départementales et de circonscription de
l'éducation spéciale pourront ainsi orienter davantage
encore leur pratique dans ce sens. Il est en outre rappelé que
toute décision d'orientation, résultant d'une
évaluation des possibilités réelles de l'enfant,
doit être entendue comme un processus continu révisable
en fonction de l'évolution de chaque situation
individuelle.
Il vous appartient donc, en fonction d'une appréciation
d'ensemble des capacités actuelles et des besoins
prévisibles en matière d'accueil, d'éducation et
de soins des enfants et adolescents handicapés, de
décloisonner le dispositif institutionnel existant dans une
perspective d'intégration qui limite les
phénomènes d'exclusion ou de ségrégation,
en lui assignant prioritairement - mais non exclusivement - un
objectif de réinsertion en milieu scolaire ordinaire chaque
fois que possible, avec, si nécessaire, les soutiens
spécialisés pédagogiques et
thérapeutiques appropriés.
En raison de leur compétence en matière de soins et de rééducation et compte- tenu de la nécessité d'assurer des accueils qui ne s'avèrent pas - provisoirement ou définitivement - possibles au sein du réseau scolaire ordinaire, les institutions spécialisées et leurs personnels doivent être associés à cette évolution et peuvent par ailleurs constituer le support technique de l'intégration.
2. L'INTEGRATION: UNE ACTION PROGRESSIVE, MAIS RESOLUE ET COHERENTE
La recherche de l'intégration des enfants et adolescents handicapés, ne saurait résulter de la mise en place générale et immédiate d'un système définitif succédant à d'autres. Il s'agit d'une démarche qui doit inspirer le fonctionnement de nos institutions et des procédures qui les régissent et se réaliser progressivement avec discernement et souplesse.
L'intégration scolaire peut revêtir
des formes multiples car il convient d'offrir des solutions
adaptées non seulement à chaque type de handicap mais
aussi à la personnalité des enfants, aux
différentes étapes de leur évolution, à
leur désirs et à ceux de leurs familles et
préparées avec le milieu d'accueil.
L'intégration individuelle dans une classe ordinaire doit
être recherchée en priorité et s'accompagner,
à chaque fois que cela s'avère nécessaire, d'une
aide personnalisée sur le plan scolaire, psychologique,
médical et paramédical, Lorsque leur handicap requiert
l'intervention permanente des spécialistes ou nécessite
une importante adaptation de la scolarité à leur
besoins particuliers, l'intégration collective permet de
regrouper ces enfants dans des classes spécialisées.
Enfin, il est nécessaire de prévoir des
modalités encore plus souples de manière à
permettre à un enfant ou à un groupe d'enfants de
participer à certaines activités seulement de
l'établissement scolaire, soit pour préparer une
insertion complète ultérieure, soit pour amorcer entre
les enfants handicapés accueillis en structures
spécialisées et les autres enfants.
En fonction de leurs progrès ou des difficultés qu'ils
rencontrent, les enfants doivent pouvoir passer d'un mode
d'intégration à un autre de manière à
leur assurer en permanence le soutien le plus efficace possible. Il
faut cependant rappeler que l'évolution de ces enfants
s'effectue souvent par paliers, des périodes de progrès
rapides alternant avec des phases de répit, parfois de
régression, nécessitant une attention accrue, sans
qu'il y ait lieu forcément de modifier le type d'aide
choisi.
Des formes encore inédites
d'intégration seront encouragées si ces innovations
permettent de répondre à des situations individuelles
particulières ou d'accueillir des catégories d'enfants
jusque là exclues de ce processus dès lors qu'elles
n’entraîneront pas de nouvelles formes de
ségrégation.
Pratiquée sans systématisation, l'intégration
aura d'autant plus de chances de réussir qu'elle
résultera d'un choix clairement exprimé par l'enfant,
sa famille et l'enseignant ainsi que d'un projet éducatif aux
dimensions à la fois médicale, psychologique et
sociale.
Elaboré conjointement par l'équipe pédagogique
de l'ensemble des partenaires (notamment familles et personnels
médicaux et sociaux) ce projet intégratif ne se limite
pas à la sphère scolaire mais doit aussi prendre en
compte l'ensemble des situations vécues par les enfants et
adolescents handicapés dans et autour de l'école. Il en
va ainsi pour les activités périscolaires: loisirs,
éducation physique et sportive, animation culturelle, etc. Ces
activités périscolaires favorisent en outre le
décloisonnement des structures et peuvent dans certains cas
aider à la mise en oeuvre du projet d'intégration
scolaire.
La préparation et la réalisation de tels projets
doivent être l'une des voies privilégiées pour
amener, dans la concertation et la complémentarité des
interventions, les multiples secteurs d'accueil concernés
à coopérer et à s'adapter pour favoriser une
évolution déjà amorcée.
3. L'INTEGRATION: UN DISPOSITIF DECENTRALISE, DES CONDITIONS ET DES MOYENS DE REALISATION
Comme tout changement social, l'intégration
suppose une modification profonde des mentalités et des
comportements. Elle ne saurait cependant dépendre seulement
d'interventions généreuses, car elle demande aussi que
soient réunies certaines conditions sans lesquelles elle
risquerait de susciter des désillusions et des
difficultés préjudiciables à l'éducation
des enfants handicapés eux- mêmes.
Devant largement résulter d'actions
décentralisées, conçues et
réalisées localement par les parties directement
intéressées, la politique d'intégration doit
cependant pouvoir conserver une relative cohérence. Il ne vous
est pas demandé d'établir une sorte de carte scolaire
de l'intégration qui serait destinée à couvrir
de façon homogène l'ensemble du territoire. Mais
partant de besoins potentiels ou déjà exprimés,
vous rechercherez, en accord avec le milieu éducatif et en
liaison avec le milieu associatif, et ferez connaître les
circonscriptions géographiques de différents niveaux
dans lesquelles, d'une part, pourraient être organisées
des modalités diversifiées d'accueil et de
scolarisation répondant aux principes évoqués
plus haut et d'autre part, existerait un milieu d'accueil favorable,
éventuellement déjà mobilisé à
cette fin.
Votre attention doit être appelée sur l'enjeu que
représentent, à titre d'exemple et dans une perspective
de démultiplication, de telles réalisations. Les
indications ci- après ont pour objet de vous fournir un cadre
de référence, appelé à être
complété et précisé ultérieurement
par la diffusion de textes plus techniques..
A) PRINCIPES D’ACTION
a) Des actions concertées
Une concertation préalable doit être entreprise entre
les pouvoirs publics, les organisations professionnelles, les
collectivités locales, les associations de parents
d'élèves et de parents d'enfants handicapés afin
de permettre la prise en compte des multiples aspects liés
à l'intégration.
bb) Des actions décentralisées, mais
coordonnées
Le regroupement des initiatives, la clarification des objectifs,
l'évaluation des moyens et des actions ne peuvent s'affranchir
d'une coordination assurée en commun par les
représentants des ministères de l'Education nationale
et de la Solidarité nationale, auxquels seront associés
les représentants des autres administrations parties prenantes
et notamment du ministère de la Santé.
c) Des dispositifs souples
Les expériences déjà entreprises montrent la
nécessité de structures souples qui permettent à
des personnels spécialisés venant de l'extérieur
d'intervenir à l'école en participant pleinement
à la vie scolaire. Des rapports étroits doivent entre
autres être créés entre l'institution scolaire et
les institutions spécialisées fonctionnant hors de
l'école.
B) LES MOYENS DE L’INTEGRATION
a) Assurer les moyens matériels de
l'intégration
Même s'il existe de larges possibilités de reconversion
des moyens existants, une politique d'intégration requiert des
moyens nouveaux. D'ores et déjà, les moyens
supplémentaires accordés ou prévus pour
l'ensemble du système éducatif sont de nature à
faciliter la mise en place des moyens spécifiques liés
à l'intégration:
Affectation de personnels relevant de l'Education nationale ou du secteur social et de l'éducation spécialisée (enseignants, agents de service, intervenants spécialisés, personnels de prévention);
Une grande souplesse dans l'application des normes d'effectifs dans les classes, en fonction de chaque situation, pouvant entraînement un allégement quantitatif ou une amélioration qualitative prenant en compte les difficultés d'ordre socioculturel;
Réalisation de travaux ou d'équipements nécessaires à l'accessibilité des locaux scolaires;
La mise en oeuvre d'un soutien à la fois pédagogique et thérapeutique, utilisant au maximum les ressources spécialisées existantes, grâce à des aides médicale, paramédicale, psychologique et sociale dont les conditions techniques, administratives et financières de fonctionnement feront l'objet de directives communes aux deux ministères, notamment en ce qui concerne les services de soins et d’éducation spécialisés à domicile prévus par le décret n° 70- 1332 du 10 décembre 1970.
L'appréciation des moyens nécessaires au bon déroulement des projets d'intégration devra tenir compte d'une nécessaire continuité pédagogique, les opérations annuelles liées aux procédures budgétaires et de programmation ne devant pas faire obstacle à leur bon déroulement.
Vous veillerez aussi à obtenir l'accord des partenaires intéressés, en particulier les collectivités locales et à définir dans un cadre conventionnel le fonctionnement d'un dispositif dont l'action sera coordonnée par les responsables d'établissements scolaires.
bb) Former les personnes concernées
L'information concernant les objectifs et les moyens de
l'intégration doit s'insérer dans la formation des
enseignants et des intervenants appelés à assurer un
soutien éducatif et thérapeutique tant au niveau de
leur formation initiale que dans le cadre des programmes de formation
continue dont les contenus seront revus dans ce sens. Les enseignants
non spécialisés et directement associés au
projet d'intégration feront l'objet d'un effort particulier
d'information, de formation et de soutien. C'est ainsi que les
ministères de l'Education nationale et de la Solidarité
nationale diffuseront des documents techniques et pédagogiques
à leur intention.
Des sessions de formation continue ouvertes aux diverses catégories de personnels concernés seront organisées au niveau de l'académie ou du département par les responsables de nos deux administrations en tenant compte des possibilités déjà existantes en plan local.
c) Apporter une aide à la famille
Il est tout à fait essentiel d'associer la famille et l'enfant
à la décision puis à l'élaboration du
projet d'intégration et de prévoir des rencontres
fréquentes avec l'équipe éducative. Ces contacts
répondent au souhait généralement exprimé
par les parents d'être davantage associés au processus
d'éducation, permettent une connaissance plus globale de
l'enfant et peuvent s'inscrire dans un dispositif d'accueil, d'aide
à la famille et de guidance parentale.
d) Sensibiliser et informer
Il s'agit ici de l'un des éléments importants de la
réussite de l'intégration. Une information
sérieuse et claire contribue efficacement à faire
tomber les préventions, les résistances et les
obstacles psychologiques que provoquent souvent les
différentes formes de handicap ou d'inadaptation.
Il est souhaitable qu'une action d'information et de sensibilisation
accompagne les actions d'intégration et touche l'ensemble des
personnels y compris les personnels de service et de surveillance,
les élèves de l'établissement d'accueil et les
familles.
Les associations de parents d'élèves et les
associations de parents d'enfants handicapés dont vous
veillerez à obtenir le concours, pourront jouer un rôle
tout à fait positif à cet égard. Mais ce sont
surtout les enseignants non spécialisés, appelés
à intervenir de plus en plus en faveur d'élèves
handicapés, qui verront renforcées leur formation et
leur information sur la nature et les conséquences des
handicaps de tous ordres, dans une double perspective d'adaptation et
de prévention. L'effort doit à la fois porter sur les
formations initiales et sur les actions de formation continue et
permanente organisées dans les académies et les
départements. Une place grandissante doit être
réservée aux problèmes posés par
l'intégration. Les différents stages que vous
organiserez feront largement appel à la participation
simultanée et réciproque de spécialistes de nos
deux administrations tant comme intervenants que comme
stagiaires.
C) L’ÉVALUATION DES ACTIONS
L'action d'intégration doit enfin faire l'objet d'un suivi régulier indispensable pour obtenir des informations sur les opérations, en apprécier le résultat et en tirer des enseignements.
Au niveau de l'établissement, une
évaluation doit être l'occasion d'ajuster les
modalités de l'intégration aux besoins de l'enfant.Il
vous appartient par ailleurs de recenser toutes les opérations
d'intégration déjà réalisées, en
cours ou projetées pour en assurer le suivi et
l'évaluation. Ces informations doivent contribuer en outre
à alimenter la recherche menée dans le domaine du
handicap et de l'intégration..
La division de l'éducation spécialisée au
ministère de l'Education nationale et la sous- direction de la
réadaptation, de la vieillesse et de l'aide sociale au
ministère de la Solidarité nationale seront à
votre disposition pour vous aider dans la mise en oeuvre de ces
actions en diffusant des informations sur les opérations en
cours, en favorisant une réflexion et un effort de recherche
sur le thème de l'intégration et en s'efforçant
de résoudre les difficultés d'ordre administratif qui
se poseraient.
(B. O. E. N. n° 5 du 4 février 1982.)